[Ils] acceptaient les risques au pays du silence. […] Il arrivait parfois que ce mutisme prolongé devint éloquent, qu’il fit apercevoir la pauvreté du lien qui subsistait, à force d’habitude entre deux êtres. Certains silences, terribles, ne disaient rien d’autre. […] Le silence n’autorisait aucun mensonge. Il obligeait à une transparence du coeur. Il était également fréquent que l’on nouât là-bas une autre liaison, qu’une rencontre décisive redonnât le goût des plaisirs du dehors et ébranlât plus encore les couples à la recherche d’une tendresse réinventée. Certains regards irrésistibles fixaient l’attention lors d’un repas, plongeaient dans l’égarement et agissaient comme des harpons dans ce climat où chacun n’était que disponibilité; car sur l’Ile du Silence, on ne craignait pas le désoeuvrement. L’oisisveté y était cultivée avec art, le relâchement y était encouragé. On y allait pour vivre sans billets de banque, avec sa seule sincérité pour tout capital, sans autre bagage que son désir d’aimer.
[…]
Le silence, grand régulateur des liaisons, ne leur ferait pas de cadeaux …
Alexandre Jardin, l’Ile des Gauchers